Un soir chez Monsieur le Duc d’Uzès : lettre d’une ville aux blancs palais
Oct 16
L’autre soir, j’étais de sortie à Uzès. Un carton d’invitation hérissé d’une tour, l’envie irrésistible de lire quelques poèmes de Mistral entre Arles et Avignon, l’attrait de la fin de saison au pays chanté par Alphonse Daudet, la douceur du temps d’octobre et une foule de bonnes raisons ou de fausses excuses firent que je promis d’être au rendez-vous devant la Cathédrale du premier Duché de France.
Notre mentor nous souhaita la bienvenue en nous demandant d’aller au bout de l’esplanade, là, ce fut l’éblouissement: une vallée heureuse, charmante comme un tableau de Corot ou Fragonard, étendait ses feuillages à peine touchés par l’automne, ses jardins éclatants et ses toits harmonieux.
Mais, la ville s’offrait à nous et nous tournâmes le dos à la suave campagne en lui demandant pardon.
Etrange citée, merveilleuse citée, Uzès résonne des pas de ses visiteurs, on y marche avec respect,
on se tait en frôlant les « palais aux fronts audacieux »qu’élevèrent jadis des notables ayant reçu quelque fortune… On s’imaginait faire le tour rapide d’un pauvre et pittoresque village, on débouche, frappé d’admiration dans un dédale où magnificence et ‘orgueil sont gravés sur la pierre immaculée surgie du sol, des fondations de la ville elle-même ! Les caves s’en vont sous les ruelles tandis que les façades haussent frises enguirlandées, frontons hiératiques, jardins suspendus ou fenêtres à meneaux vers la pureté du ciel. Le rêveur est roi à Uzès, chaque détail accroche l’imagination, chaque balcon éveille le juvénile caprice de guetter une silhouette, une ombre, un écho de ces mille histoires chuchotées par les pierres…
Soudain, un vertige s’empare de moi, mes amis avaient dès le départ une belle mine, celle que l’on retrouve chez les gens férus du passé au point de s’en faire un compagnon, et, d’un coup, j’ai la nette impression d’être entourée d’une noble assemblée en habits brodés ou grandes robes aux paniers froufroutants de soie fleurie; j’avance, j’essaie de reprendre mes esprits, je respire un parfum « vieille-France », je n’ai plus de doute; nous venons de passer une porte invisible…
Finalement, je commence à m’en réjouir quand notre guide brise le sortilège d’un mot aimable mais ferme ! » Mes amis , Monsieur le Duc nous attend d’ici 10 minutes, il est temps de vous changer avant d’entrer au Duché ». Le délicieux mirage s’enfuit sur les ailes du vent de l’histoire, les invités courent affolés, l’un nouant sa cravate à la diable, l’autre enfilant ses escarpins sur les pavés;
je me cramponne au bras de mon époux, ciel, on va nous présenter au 17ème Duc de cette bonne ville d’Uzès ! Qu’allons-nous lui dire et par où commencer ?
L’entrée au Duché revêt la forme de nos désirs tant la beauté se marie avec la grandeur.
Gracieuse, une fontaine coule dans un bassin au pied d’intimidantes tours, d’épais remparts, de façades à l’austère splendeur. Monsieur le Duc nous rassure d’un geste, d’une parole aimable, d’un regard bienveillant. Tout le monde respire, la soirée se passera bien ! On nous suggère, peut-être veut-on calmer notre excitation de vieux enfants en vacances, de grimper tout au sommet de la Tour Bermonde, 135 marches et une récompense: la vue sur Uzès, et l’envol en esprit vers les lointains effleurés de brume bleue et de reflets violets à cette heure …
Après cet immense effort, notre hôte nous ouvre un beau salon bleu , une galerie d’ancêtres de fort belles figures et une pièce vouée aux éternels gamins: un train électrique amuse et repose après cette rencontre avec une ville , ses palais , son étonnant château ,symbole à la fois de la puissance d’une citée et de la noblesse d’une dynastie . La soirée s’éparpille avec le chant de la fontaine. Emus, les invités bavardent sur le ton de ceux qui savent que les bonheurs sont comptés, bientôt , la nuit d’octobre descendra du balcon de la façade renaissance , glissera le long des feuillages et nous prendrons congé ,le sourire aux lèvres et déjà la nostalgie au cœur…
Vers minuit, j’ouvre notre fenêtre et Uzès m’adresse un signe complice :la tour de la Cathédrale est toute piquetée d’une ronde d’étoiles… Un verset de Mistral monte en ma mémoire et la nuit devient plus claire que le jour; « Je vois une étoile d’où partent, à la tombée du jour, mille étincelles;
quelque part brille une beauté, si belle qu’elle éblouit. Moi, je suis là, à languir; et, faute d’ailes, ma nostalgie sera mortelle. »
« Vese uno estello, d’ounte part
A jour fali milo belugo
Briho uno bello qu’esbarlugo.
Ieu, sieu aqui
A me langui;
E,fauto d’alo,
Ma languissoun sara mourtalo »
Rassurez-vous , je survivrai , ne serait-ce que pour revenir à Uzès , beauté dormante en ses palais .
A bientôt , en route vers un château défendu par son portail couronné de lions,
du côté du vicomte de Chateaubriand , des corsaires et de Saint-Malo… Ou vers l’Inde des Rajahs,
là où soufflera l’inspiration…
En attendant, n’oubliez pas Mistral, Provençal et Grec, poète humain, humaniste, injustement relégué au rayon des articles touristiques démodés. Comment ne pas aimer le créateur de ces tendres provençales qui portent les noms enjôleurs de Magali, Mireille, Nerte et la fée Esterelle ?
Lady Alix